À Charlotte…À Mathurine

« MATHURINE, à Don Juan.- Monsieur, que faites-vous donc là avec Charlotte, est-ce que vous lui parlez d’amour aussi? DOM JUAN, à Mathurine.- Non, au contraire, c’est elle qui me témoignait une envie d’être ma femme, et je lui répondais que j’étais engagé à vous. CHARLOTTE.- Qu’est-ce que c’est donc que vous veut Mathurine?
DOM JUAN, bas, à Charlotte.- Elle est jalouse de me voir vous parler, et voudrait bien que je l’épousasse, mais je lui dis que c’est vous que je veux. MATHURINE.- Quoi, Charlotte… DOM JUAN, bas, à Mathurine.- Tout ce que vous lui direz sera inutile, elle s’est mis cela dans la tête. CHARLOTTE.- Quement donc Mathurine… DOM JUAN, bas, à Charlotte.- C’est en vain que vous lui parlerez, vous ne lui ôterez point cette fantaisie. »
Don Juan ou le Festin de pierre, II, 4

Le jeu de scène dans lequel le séducteur courtise simultanément deux victimes avait été mis en oeuvre

– dans L’Inconstance punie (1661) de Dorimond (1)
– dans Le Festin de pierre de Villiers (2)

 

Il sera repris, en une version moins développée

– dans La Mère coquette ou les Amants brouillés (1665) de Donneau de Visé, comédie créée par la troupe de Molière le 23 octobre 1665 (3)
– dans le spectacle italien « Juifs de Babylone », connu par les notes de l’Arlequin Biancolelli, traduites par Gueulette au siècle suivant (4)

 

Dans sa comédie de La Dame suivantee (1645), d’Ouville en avait également proposé une version (5)

 

 


 

(1)

FLEURETTE
[…]
Mais le voilà lui-même, il conte des fleurettes,
Pour tromper comme moi quelques jeunes fillettes.
[…]
Ah ! traître, tu sais bien que je me meurs pour toi
Et cependant tu n’as que du mépris pour moi.
Si tu ne m’aimes plus, traître, il faut que je meure.
[…]

 

HYLAS à Fleurette
Que je sois à vos yeux par le foudre atterré,
Si vous n’êtes, mon coeur, un objet adoré.

 

FANCHON
Monsieur, qu’entends-je là ? Cette jeune personne
Est fille et vous l’aimez ! C’est ainsi qu’on m’en donne.

 

HYLAS à Fanchon à part
Ah, je ne l’aime point ; je n’adore que vous
Et s’il vous plaît demain, je serai votre époux.

 

FLEURETTE
Que promets-tu, méchant, à cette belle dame ?
Brûles-tu pour ses yeux, lui donnes-tu ton âme ?

 

HYLAS à part à Fleurette
Non, je ne l’aime point, je n’adore que vous
Et s’il vous plaît demain, je serai votre époux.

 

FANCHON

Vous n’aimerez que moi ?

 

HYLAS à Fanchon à part
Que vous, je vous le jure.

 

FLEURETTE
Je serai seule aimée ?

 

HYLAS à Fleurette à part
Oui, je vous en assure.

 

A Fanchon à part
Allez-vous-en chez vous, j’y vais sans différer.

 

A Fleurette à part
Pour notre mariage, allez tout préparer.
(sc. VII, p. 20-23)

 

(2)

Je n’ai jamais rien vu de si beau que tes yeux.
[…]
Ah ! que les tiens ont des traits radieux !
[…]
Ta taille est charmante au possible.
[…]
Pour toi, je suis extrêmement sensible.
(IV, 5)

 

(3)

Il dit les six vers suivants en se retournant toujours devers l’une et devers l’autre.
(II, 3 p. 35)

 

(4)

AJOUTER
(éd. D. Gambelli, Arlecchino a Parigi. Lo scenario di Domenico Biancolelli, Rome, Bulzoni, 1993, t. II, p. 720)

 

(5)

ISABELLE dans la rue
M’en doutais-je pas bien, déloyal, imposteur,
Que tu me trahissais ?

 

CARLIN bas
Ah Dieux ! Je meurs de peur :
Si je me plains ici, c’est trop de fortune,
Les voulant toutes deux je n’en aurai pas une.

 

DORISE à Isabelle
Quoi ! l’empêcherez-vous de suivre son désir
S’il me préfère à vous ?

 

ISABELLE à Dorise
Il sait bien mieux choisir,
C’est bien effrontément parler en ma présence,
Vous l’emportez sur moi, mais c’est en impudence.

 

DORISE à Isabelle
Pensez-vous le gagner pour parler ainsi haut ?
Va, je te traiterai, volage, comme il faut.

 

CARLIN, bas.
On me l’avait bien dit, que j’avais bonne mine,
Tout le monde m’en veut. Viens-ça, tais-toi badine,
[A Dorise, bas] Va, je n’en veux qu’à toi, ne le vois-tu pas bien ?

 

ISABELLE à Carlin
Viens-ça, que lui dis-tu ?

 

CARLIN
Moi, je ne lui dis rien.

 

DORISE à Carlin
Or sus déclare-toi, dis à qui tu veux être,
Je veux savoir ici si tu n’es pas un traître.

 

ISABELLE à Carlin
Parle donc promptement.

 

CARLIN bas
J’ai les sens tout confus,
L’une est belle, il est vrai, mais l’autre a des écus,
Je voudrais bien avoir toutes les deux ensemble.

 

DORISE
Comment, tu ne dis-mot, parle donc, que t’en semble ?

 

CARLIN, bas à Dorise
Dorise, vois-tu pas que je n’en veux qu’à toi ?

 

DORISE à Isabelle
Ecoutez ce qu’il dit ?

 

ISABELLE
Que dis-tu ? parle à moi

 

CARLIN bas à Isabelle
Je dis que c’est à toi seule à qui je veux plaire.
[bas] Je suis bien empêché de ce que je dois faire.

 

DORISE
Je te montrerai bien, traître, que tu n’es pas
Où tu penses encor, tu t’en repentiras.

 

ISABELLE
Je t’attraperai bien je t’en donne parole.

 

CARLIN bas à Isabelle
Va, laisse-la parler, ce n’est rien qu’une folle.
[Clidamant paraît]

 

DORISE
Adieu, ton maître vient.

 

CARLIN, bas à Dorise
Va, je n’aime que toi.

 

DORISE en s’en allant
Je ne souffrirai pas qu’on se moque de moi.
(IV, 3, p. 110-113)

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