Vautours affamés de carnage

« Et mon esprit, enfin, n’est pas plus offensé,
De voir un homme fourbe, injuste, intéressé,
Que de voir des vautours affamés de carnage,
Des singes malfaisants, et des loups pleins de rage. »
Le Misanthrope, I, 1 (v. 175-178)

La comparaison, sur le plan de la férocité, entre les hommes en société et les autres animaux se lit également

– au t. VIII (1663) de l’Almahide des Scudéry (1), qui stigmatise particulièrement le comportement des hommes à la Cour (voir également « hors de la cour »),
– dans les Réflexions de La Rochefoucauld (2),
– dans le dialogue « De la philosophie sceptique » de La Mothe le Vayer (3),
– dans un des Entretiens et lettres poétiques (1665) du Père Le Moyne (4)
– au second volume des Essais de Morale (16759 de Pierre Nicole.(5)

 

Dans son Opuscule, ou Petit traité sceptique sur cette commune façon de parler : n’avoir pas le sens commun, La Mothe le Vayer se sert en outre de la comparaison entre les hommes et les animaux pour relativiser le pouvoir du raisonnement (6).

 

Plusieurs fable de la Fontaine présentent le singe comme un animal malfaisant. C’est le cas par exemple des fables
« Le Singe » (XII, 19), « Le Singe et le dauphin » (IV, 7), « Le Singe et le chat » (IX, 17), et « Le Thésauriseur et le singe » (XII, 3).

 

 


 

(1)

[Mustapha parle] :
hélas ! la plupart des cours ne sont autre chose qu’une assemblée de singes, de renards, de loups et de tigres. Tous les vices y sont en foule ; l’envie, la haine, la médisance, les mauvais offices, les passions de l’âme, les mépris, les injures, les outrages, les vengeances, et la honte. La vanité s’y élue ; l’avarice n’y a point de bornes ; la volupté n’y a point de frein ; la perfidie y est commune ; et les plus grands crimes y passent pour des vertus. Les simples y sont moqués ; les innocents persécutés ; les impudents favorisés ; et l’on ne voit y prospérer que les flatteurs, les calomniateurs, les espions, les bouffons, et les ministres des plaisirs infâmes. Toutes les vertus y rencontrent des tyrans et des bourreaux : l’on n’y trouve autre chose que la perte de la liberté ; l’inquiétude de l’ambition ; la dépense excessive ; des espérances trompeuses ; des peines inutiles ; des pièges que l’on vous tend ; de l’ingratitude et du désespoir. Les dames n’y sont guère plus réglées que les hommes : et l’on voit en elles l’orgueil de l’humeur, la vanité des habits, la délicatesse, l’oisiveté, et les fards. L’insolence, l’arrogance, la contradiction, l’obstination, la finesse, la malice, le parler trop, et souvent mal : en un mot peu de vertus et beaucoup de vices. Après avoir fait ce tableau, jugez si je connais la cour, et si je suis capable de la peindre.
(Almahide, VIII [suite de la IIIe partie], p. 504-505)

 

(2)

Du rapport des hommes avec les animaux.

Il y a autant de diverses espèces d’hommes qu’il y a de diverses espèces d’animaux, et les hommes sont, à l’égard des autres hommes, ce que les différentes espèces d’animaux sont entre elles et à l’égard les unes des autres. Combien y a-t-il d’hommes qui vivent du sang et de la vie des innocents : les uns comme des tigres, toujours farouches et toujours cruels ; d’autres comme des lions, en gardant quelque apparence de générosité ; d’autres comme des ours, grossiers et avides ; d’autres comme des loups, ravissants et impitoyables ; d’autres comme des renards, qui vivent d’industrie, et dont le métier est de tromper !
[…]
Il y a des singes et des guenons qui plaisent par leurs manières, qui ont de l’esprit, et qui font toujours du mal. […]
Combien d’oiseaux de proie, qui ne vivent que de rapines […].  »
(La Rochefoucauld, Réflexions diverses, 11, éd. posthume de 1731, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 517-518)

 

(3)

Il n’y a point de ville […] dont on ne puisse raisonnablement prononcer, tantumdem istic vitiorum, quantum hominum. Toutes ces grandes communautés de peuples, ces nombreuses congrégations de familles, sont autant de tanières d’animaux sauvages, et de repaires de bêtes farouches, qu’une commune malédiction semble avoir réunies et ramassées comme en une forêt, Ferarum iste conventus est, nisi quod ille inter se placida sunt, morsusque similium abstinent, hi mutua laceratione satiantur. [Sen.2 de Ira] Car à la vérité, les loups, les tigres, ni les lions n’usent jamais de leur férocité envers ceux de leur espèce, l’homme étant seul qui persécute son semblable, jusques à tel point qu’il y a plus à craindre pour lui dans la meilleure ville et la mieux policée de l’Europe qu’au milieu des bois les plus sombres et les plus infâmes de l’Hircanie. Tant fût juridique [sic] la réponse de Pythagore dans Iamblicus, que la chose du monde qu’il estimait la plus véritabe, c’était la malice extrême de l’homme, ce que devait avoir fort bien démontré ce grand Péripatéticien Dicearchus en son livre de Interitu hominum, où par une longue énumération des calamités que les hommes se procurent les uns aux autres, il faisait voir évidemment que ni les guerres, ni les famines, ni les déluges, […] ni les hostilités de toutes les bêtes venimeuses ou carnivores jointes ensemble, ne causent point une telle destruction du genre humain, que la seule malignité de l’homme envers son semblable, qu’il n’exerce nulle part avec tant de commodité, ni d’animosité, qu’au milieu de ces grandes sociétés et bourgeoisies des villes.
(La Mothe le Vayer, « De la philosophie sceptique », Cinq dialogues fais à l’imitation des Anciens par Orasius Tubero, p. 62-63)

 

(4)

Dans les affreux déserts, où la brûlante Afrique,
Nourrit de ses lions la race famélique,
Où l’esprit des dragons corrompt l’air et le jour ;
Vit-on plus en péril qu’on ne vit à la Cour ?
Au moins dans ces déserts, le lion sanguinaire,
Ne sait point de l’agneau la douceur contrefaire :
Le tigre tavelé n’imite point la voix,
Du cerf au font branchu, qui brame dans nos bois :
Et jamais on n’y vit la panthère inhumaine,
Prendre de la brebis la figure et la laine.
Mais, duchesse, à la cour, le lion fait l’agneau,
Le tigre prend du cerf et la voix et la peau :
Le vautour déguisé d’ongle, de bec et d’aile,
Fait tantôt le pigeon, tantôt la tourterelle :
Et le griffon sanglant du butin qu’il a pris,
S’essuie et contrefait l’oiseau de paradis.
Dans ce déguisement, quelle sagesse humaine,
Si Dieu ne la conduit, ne se trouvera vaine ?
Qui se pourra sauver des ongles et des dents,
De ces agneaux lions et tigres au dedans,
De ces griffons parés de plumes empruntées,
Déguisés de façons et de moeurs imitées ?
Aussi comme en un bois assiégé de voleurs
On n’entend à la Cour que bruits et que clameurs,
Soit de gens dépouillés, soit de gens qui dépouillent,
Et sans pitié du sang des dépouillés se souillent.
(P. Le Moyne, Entretiens et lettres poétiques, 1665, p. 215-216)

 

Les esprits de vautour, qui de chair se nourrissent
Et dans leurs ordures pourrissent,
Dans de sales cachots confinés à l’écart,
A ce lieu de bonheur jamais n’auront de part.
(Ibid., p. 230)

 

(5)

Les hommes, pleins de cupidité sont pires que des tigres, des ours et des lions. Chacun d’eux voudrait dévorer les autres ; et cependant par le moyen des lois et des polices, on apprivoise tellement ces bêtes féroces que l’on en tire tous les services humains que l’on pourrait tirer de la plus pure charité.
( p. 208)

 

(6)

[Les animaux] ne sont peut-être pas si éloignés de nous du côté du raisonnement, selon le plus et le moins ou autrement (je laisse à part la considération de l’immortalité) que la parole et la main ne puissent être dites des parties autant et plus essentielles, pour nous faire différer des bêtes brutes, que cette belle raison telle qu’elle paraît en beaucoup de personnes. En effet, quiconque se figurera des hommes nés et nourris dans les bois, sans mains et sans langue intelligible, de la même façon que le reste des animaux les habitent, ils s’apercevra aisément que la connaissance intellectuelle ni la raison que pourraient avoir les premiers, ne leur donnerait pas un grand avantage sur les autres. Voire même cette pensée conduite par le discours mental jusques où elle doit aller vous les laissera tous avec si peu de différence entre eux (j’excepte toujours l’immortalité) que peut-être les hommes vous paraîtraient plus bêtes en beaucoup de choses que les bêtes mêmes.
(La Mothe le Vayer, Opuscule, ou Petit traité sceptique sur cette commune façon de parler : n’avoir pas le sens commun, 1646, p. 121-123)

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