Les remarques successives du maître de musique et du maître à danser font écho à la querelle qui suivit la publication des lettres patentes instituant une Académie royale de danse en mars 1661 (1).
Un anonyme Discours académique pour prouver que la danse, dans sa plus noble partie, n’a pas besoin des instruments de musique, et qu’elle est en tout absolument indépendante du violon (1663) (2) suscita une réplique de Guillaume Du Manoir, roi des joueurs d’instruments et maîtres à danser de France, défendant « la danse mêlée de musique » dans un texte intitulé Mariage de la musique et de la danse (1664) (3).
L’affirmation selon laquelle un État ne peut subsister sans musique fait en effet écho au IVe livre de la République de Platon. Cette idée est à son tour reprise dans les lettres patentes de novembre 1570, par lesquelles Charles IX avait institué une Académie de musique (4). Enfin, Marin Mersenne comparait la politique et l’harmonie dans la Xe proposition du dernier livre de son Harmonie universelle (1636).
Les traités de l’époque s’ouvrent souvent sur une explication conventionnelle de l’utilité de la matière en question (voir par exemple le Traité de la chimie de Glaser (1672)). Cette explication est trop souvent présentée dans des termes excessivement élogieux (comme par exemple dans le Traité de la peinture de Catherinot (5)).
Dans Les Aventures du baron de Faeneste (1617) d’Agrippa d’Aubigné, Maître Gervais défend la grammaire en recourant à des arguments analogues (6)
(1)
« […] l’art de la danse a toujours été reconnu l’un des plus honnêtes et plus nécessaires à former le corps et lui donner les premières et plus naturelles dispositions à toute sorte d’exercices, et entre autres à ceux des armes, et par conséquent l’un des plus avantageux et des plus utiles à notre noblesse et autres qui ont l’honneur de nous approcher, non seulement en temps de guerre dans nos armées, mais encore en temps de paix dans le divertissement de nos ballets ».
Lettres patentes du roi pour l’établissement de l’Académie Royale de Danse en la ville de Paris, Paris, Pierre le Petit, 1663, p. 3-4.
(2)
Il était difficile de s’imaginer que la danse et les instruments, qui avaient vécu en bonne intelligence depuis plusieurs siècles, se pussent brouiller dans le nôtre, où l’une et les autres sont dans leur perfection: on avait cru que leur société avait été formée sur celle de l’harmonie et du mouvement des cieux, et qu’elle devait durer autant que le monde; aussi, la danse proteste qu’elle n’a point contribué à leur discord, qu’elle a toujours été prompte à suivre leurs mouvements, tandis qu’ils ont bien voulu s’accommoder aux siens, et conserver cette égalité qui fait et qui maintient les sociétés. Mais lors que le violon, enflé d’orgueil de se voir introduit dans le cabinet du plus grand des rois et de se voir favorablement écouté dans tous ses divertissements, a voulu se donner une supériorité inouïe et que le luth ni pas un des autres instruments n’avait jamais prétendue sur la danse, elle a cru devoir s’opposer à cette nouveauté, et faire connaître son indépendance de la musique.
(Établissement de l’Académie royale de danse en la ville de Paris, avec un discours académique pour prouver que la danse, dans sa plus noble partie, n’a pas besoin des instruments de musique, et qu’elle est en tout absolument indépendante du violon, Pierre le Petit, 1663).
(3)
[…] bien loin de contredire ce que vous avez publié à l’avantage de la Danse, je veux enchérir encor sur l’Apologie ou le Panégyrique que vous avez fait de cet exercice. […] qu’elle a été l’étude et les délices des Républiques les plus florissantes; que longtemps même on l’a utilement employée à diverses fonctions de la Guerre; et enfin qu’elle peut merveilleusement servir à tout le monde et contribuer à toutes sortes d’avantages, soit touchant la galanterie, soit touchant la milice.
Guillaume Du Manoir, Le Mariage de la Musique avec la Danse, 1664, éd.1870, p.59.
Et ne lit-on pas aussi dans les Histoires que quiconque anciennement ne savait point la Musique était réputé ne savoir aucune chose? que Themistocle ayant un jour refusé de jouer de la Harpe dans une célèbre assemblée de Grèce, il y fut tenu pour un capricieux ou pour un ignorant? que les Socrate même, que les Alcibiade, qu’une infinité d’autres grands Personnages se sont appliqués avec exactitude à la connaissance de la Symphonie, et n’auraient point passé pour de parfaits Illustres sans une connaissance et si fertile et si heureuse? Ne lit-on pas que c’est pour cela que Platon a soutenu que la Musique était necessaire à un bon Politique? que c’est pour cela qu’Aristote lui donne un des premiers rangs parmi les plus honnêtes et les plus désidérables disciplines? que c’est pour cela que S. Isidore même a estimé que c’était un défaut aussi honteux et aussi blâmable d’ignorer la Symphonie que d’ignorer les Lettres? et enfin que c’est pour cela que les enfants l’apprenaient autrefois avecque les Humanité dans les Collèges?
[…]
Si j’entreprenais d’approfondir plus avant cette riche matière, sans m’arrêter aucunement aux Histoires profanes, ni même aux adroites subtilités des Naturalistes, ne pourrais-je pas dire avecque les Saints Pères, et même avecque l’Ecriture, que le monde aussi bien que le Ciel est une continuelle Musique dont Dieu même est le Directeur et le Maître? Car n’est-ce pas lui, en effet, qui y donne le branle à toutes choses aussi bien qu’à tous les Cieux? qui fait observer aux uns et aux autres toutes les pauses et toutes les autres lois de l’harmonie que sa Providence y a voulu établir? et qui enfin leur souffle (pour ainsi parler) tous les tons convenables à leurs espèces, et bat sans cesse la mesure sur tout ce qui a reçu l’être?
id., pp. 66-68.
(4)
« […] il importe grandement pour les moeurs des citoyens d’une ville que la musique courante et usitée au pays soit retenue sous certaines lois, d’autant que la plupart des esprits des hommes se conforment et comportent selon qu’elle est, de façon que où la musique est désordonnée, là volontiers les moeurs sont dépravées, et où elle est bien ordonnée, là sont les hommes bien morigénés »
(5)
« On sait assez que la Peinture est divertissante, mais elle est en outre et utile et nécessaire pour conserver les visages des hommes illustres, la structure des bâtiments insignes, les plans des Villes, des places, et des maisons remarquables. Comme aussi pour connaître les plantes et les animaux, pour représenter les anatomies, pour comprendre les machines militaires, nautiques, et autres. Enfin, les Juges font faire des plans Généalogiques, et ordonnent des descriptions de lieux pour décider les procès. Ces descriptions se font en peinture, ou en bosse, en plat ou en relief, quand les visitations & descentes ne suffisent pas. On supplicie même par effigie, et par apposition de tableau, et cela s’apelle tabloter un homme. […] Il n’est point d’homme qui par conséquent ne doive savoir tout au moins crayonner & grisonner. La peinture est le langage de toutes les nations de la terre, & l’Écriture se nomme proprement peinture ».
Catherinot, Traité de la peinture, Bourges, 1687, p. 1.
(6)
Ce bonhomme maintint que l’univers se détruisait à faute de grammaire ; car cette grammaire, qui vient de grandis mater, tiendrait tous ses enfants en paix s’ils faisaient d’elle l’état qu’ils doivent. C’est par elle que nous nous entendons les uns les autres. Faute de grammaire fait que nous ne nous entendons pas ; faute de s’entendre amène les dissensions, les guerres, la ruine du pays : ergo faute de grammaire ruine le pays.
(III, 22 ; éd. de 1630, p. 181)