J’ai songé d’oeufs cassés

« Les disgrâces souvent sont du Ciel révélées :
J’ai songé cette nuit de perles défilées,
Et d’oeufs cassés : Monsieur, un tel songe m’abat. »
Dépit amoureux, V, 6 (v. 1638-1640)

 

« Cette nuit, j’ai songé de poisson mort, et d’oeufs cassés, et j’ai appris du seigneur Anaxarque que les oeufs cassés et le poisson mort signifient malencontre. »
Les Amants magnifiques, I, 2

La croyance dans la valeur prémonitoire du songe « d’oeufs cassés » est attestée dans la littérature spécialisée contemporaine (1).

 

Elle fait partie des croyances sur les pouvoirs de l’onirocritique, qui sont mises en cause dans

– certains écrits de La Mothe le Vayer, qui les récuse en tant qu’elles sont une superstition et une faiblesse de l’esprit (2) et qui rejette, plus généralement, toutes les formes de crédulités qui lui sont apparentées (3).

– une conversation de la cinquième Partie (1660) de la Clélie des Scudéry (4).

– un passage du roman Tarsis et Zélie (1665) de Le Vayer de Boutigny (5).

 

Dans L’Etourdi, Mascarille énonçait (pour le mettre en doute) le proverbe « Songes sont mensonges ».

 

 


 

(1)

voir des oeufs cassés [en songe], c’est mauvais présage
(Vulson de la Colombière, Le Palais des curieux…, Troyes, 1655, p. 176 de l’édition de 1793)

 

(2)

Faut-il déférer aux Songes ?
Non : les Songes ne sont, généralement parlant, que mensonges, et leur interprétation est ou frivole, ou douteuse. Il n’y a rien de plus vain que ce qu’ont écrit les Onerocritiques. Lire la suite …
(La Mothe le Vayer, « Faut-il déférer aux songes ? », Problèmes sceptiques, 1666, dans Oeuvres, éd. de 1756, t. V, 2, p. 314)

 

Certes tout cela ensemble paraîtra bien puissant à nous persuader que c’est une commune conception de tous les hommes, philosophes et autres, fidèles et infidèles, que les songes sont dignes de considération, et même de respect, tant s’en faut que nous devions les rejeter avec mépris. La preuve de cela pourrait aller jusqu’à l’infini.
Si est-ce que l’autorité de ceux qui s’en sont moqués n’est pas petite, et quand Epicure, Métrodore, Xenophane, Ciceron, avec quelques autres qu’on pourrait ajouter, ne seraient pas comparables aux premiers, Aristote seul leur peut être opposé, et ses raisons sont si puissantes pour montrer la vanité des songes, qu’avec la modification que S. Thomas y apporte, je ne crois pas qu’il soit facile de les réfuter.
(La Mothe le Vayer, « Du sommeil et des songes », Opuscules ou Petits Traités, 1644, dans Oeuvres, éd. de 1756, II, 2, p. 30)

 

aux choses qui dépendent de la Fortune, ou d’autres causes que celles de notre propre constitution, c’est une superstition, et une pure faiblesse d’esprit, de s’amuser à considérer des songes, et de faire quelque fondement sur cette sorte d’illusions nocturnes.
(Ibid., p. 41)

 

(3)

En vérité ce n’est pas sans sujet qu’on a dit que l’incrédulité était le nerf, et le plus fort soutien de la sagesse des hommes. Lire la suite…
(La Mothe le Vayer, Nouvelle Suite des Petits Traités, 1659, dans Oeuvres, éd. de 1756, VI, 2, p. 333)

 

(4)

Quoi, reprit-elle assez étonnée, Amilcar qui a tant d’esprit et qui est si savant ne sait point qu’il y a des songes qui sont des prédictions très assurées ? Je sais sur les songes, reprit-il, tout ce qu’on en peut savoir Lire la suite…
(Clélie, V, 2 p. 617)

 

(5)

Je pris la liberté de lui dire ce que je crus le plus propre à guérir son esprit, et à lui ôter cette créance que je lui voyais si injustement ajouter aux songes. Il est vrai que, comme les Syriens en font un article de leur religion, et qu’Antigonus s’y abandonnait de son naturel, je n’osai pas le trop presser là-dessus. « Vous faut-il, Seigneur, lui dis-je, une meilleure preuve qu’on s’est trompé au sens qu’on a voulu donner à vos songes, que ce que vient de faire Ariarate ? […] S’il m’était donc permis, Seigneur, d’interpréter vos songes, je dirais que si cet arbre qui s’élève comme vous dites, jusque au ciel, et qui couvre les autres de son ombre, désigne Ariarate , c’est un présage qu’il portera par sa valeur votre nom au dessus des autres rois de la terre ; et que cette moisson d’or, est celle des conquêtes qu’il fera pour vous et qu’il ajoutera à celles de Pont et de Cappadoce. Mais après tout, permettez-moi, Seigneur, de vous représenter que tous les songes ne sont pas prophétiques ; et que les réflexions que vous faites le jour sur ce que vous savez de la naissance et des qualités d’Ariarate, sont apparemment la source de ces images trompeuses dont votre imagination trouble votre repos. – Ariobarzane, me dit le roi, je sais que vous faites profession de douter de tout. Mais il faut que votre sceptique cède à l’autorité de notre religion ; et quelque estime que j’aie pour Pyrrhon, nos Chaldéens me paraissent en mériter davantage.
(éd. de 1720, t. II, p. 69)

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