Il n’y a pour s’exprimer que la prose, ou les vers

« – Je suis amoureux d’une personne de grande qualité, et je souhaiterais que vous m’aidassiez à lui écrire quelque chose dans un petit billet que je veux laisser tomber à ses pieds. – Fort bien. – Cela sera galant, oui. – Sans doute. Sont-ce des vers que vous lui voulez écrire? – Non, non, point de vers. – Vous ne voulez que de la prose? – Non, je ne veux ni prose ni vers. – Il faut bien que ce soit l’un, ou l’autre. – Pourquoi? – Pour la raison, Monsieur, qu’il n’y a pour s’exprimer que la prose, ou les vers. »
Le Bourgeois gentilhomme, II, 4

Cet épisode est vraisemblablement inspiré d’une nouvelle de Jean Donneau de Visé : Manières d’aimer des jeunes gens, du premier livre de L’Amour échappé ou les diverses manières d’aimer (1669). Dans cette nouvelle, le jeune Tirimène veut faire écrire en son nom une déclaration à une belle. L’auteur lui demande s’il souhaite un billet en vers ou en prose et Tirimène, pour cacher son ignorance, demande des « vers en prose » (1).

 

Dans le Roman bourgeois (1666) de Furetière, l’ignorant Belastre se singularisait par des naïvetés semblables (2)

 

 

(1)

« Un jour ayant rencontré au bal une personne assez digne d’être aimée, son coeur en fut touché, il [Tirimène] fit si bien qu’il la mena danser. La chaleur était si grande dans ce lieu, à cause de la grande quantité de monde, qu’elle s’évanouit comme il lui quitta la main : Il résolut de faire quelque chose sur ce sujet qui parut de lui. Il envoya quérir un bel esprit de profession, et l’ayant fait entrer dans son cabinet, il lui communiqua son dessein. L’auteur, ou le bel esprit, comme il vous plaira, trouva ce sujet le plus heureux du monde, dit qu’il ferait quelque chose de beau, et lui demanda s’il voulait que ce fût en vers ou en prose. Tirimène se trouva fort embarrassé, ne sachant point la différence des vers et de la prose ; mais enfin comme il se vit pressé de répondre, il dit qu’il croyait que les vers en prose seraient propres pour ce sujet. Le bel esprit s’aperçut de son ignorance ; mais il ne voulut pas lui faire honte, et se retira, en l’assurant qu’il serait satisfait de lui. Le lendemain il lui apporta une galanterie en vers qu’il paya bien ; mais il ne s’en repentit pas, pource qu’elle fut trouvée fort belle, et lui donna beaucoup de réputation parmi ceux qui ne le connaissaient pas : Car ceux qui savaient la portée de son esprit, se doutèrent bien qu’il avait emprunté la plume d’un autre. »
Jean Donneau de Visé, L’Amour échappé ou les diverses manières d’aimer, Paris, Thomas Jolly, 1669, t. 1, p. 254-256.

 

(2)

Cet homme lui enseigna donc les règles des vers, (s’il est toutefois permis d’enseigner ce qu’on ne sait pas). Il lui apprit à compter par ses doigts les syllabes, que Belastre mesurait auparavant avec un compas: car il ne concevait point d’autre façon de faire des vers que de trouver moyen de ranger des mots en haie, comme il avait vu autrefois ranger des soldats pour faire un bataillon.
Ce brave maître lui apprit aussi qu’il y avait des rimes masculines et féminines ; sur quoi Belastre lui dit avec admiration : « Est-ce donc que les vers s’engendrent comme des animaux, en mettant le mâle avec la femelle ? »
(Livre second)

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