La langue franque, ici imitée de manière parodique, serait une sorte de pidgin créée sur la base de quelques langues latines du bassin méditerranéen dont les ressortissants des différentes nations (chrétiennes ou non) se servaient pour entrer en communication, dans leurs relations commerciales essentiellement.
– Le Dictionnaire de Furetière lui accorde une courte mention, relative à sa diffusion géographique. (1)
– Dans le récit narrant son expérience de captif sur les galères turques (Les Aventures de Louis Marot, pilote réal [sic.] des galères de France, 1675), un marin français évoque la maîtrise de cette langue par ses geôliers ottomans. (2)
– Parmi de nombreuses allusions, Athènes ancienne et nouvelle (1675) de Georges Guillet de Saint-Georges souligne sa compréhension tant des Turcs que des populations proprement méditerranéennes sous la forme d’une anecdote relative au siège de Candie. (3)
Sa composante essentiellement italienne est soulignée, entre autres, dans
– L’Histoire nègre-pontique contenant la vie et les amours d’Alexandre Castriot, arrière-neveu de Scanderberg, et d’Olympe la belle Grecque, de la Maison des Paléologues (1631) de Jean Baudoin : un Ermite vivant dans un bourg esseulé sur la côte des Canaries accueille les héros naufragés en les hélant dans ce langage. (4)
– L’Histoire de la Barbarie et de ses Corsaires (1637) du Père Dan. (5)
– L’Ibrahim (1644) des Scudéry. (6)
– A un autre endroit d’Athènes ancienne et nouvelle (1675) Georges Guillet de Saint-Georges justifie l’emploi de cette langue par une population grecque très adonnée au commerce maritime et donne quelques indices sur son mode de fonctionnement. (7)
(voir également « mi servir a ti »)
(1)
Il y a une langue Franque que l’on entend par toute la Méditerrannée
(Dictionnaire, terme « Langue »)
(2)
Alors que Louis Marot tente d’entrer en discussion avec les esclaves de la galère sur laquelle il est captif afin de fomenter une rébellion, un soldat de Sa Hautesse lui intime l’ordre d’utiliser la langue franque dans ses rapports avec ses compagnons d’infortune pour que tout échange entre eux reste compréhensible de l’équipage ottoman :
Il y avait près de nous un Soldat Turc qui nous observait, et qui ne voulant nous laisser assembler ainsi, qu’à condition que nous parlerions toujours la Langue Franque qu’il entendait, nous embarrassait beaucoup, parce que ne nous abandonnant point, je ne pouvais proposer mon affaire à mes gens ; […].
( p. 15-16)
(3)
Donnant de nombreuses informations sur la sécurité du camp turc, Guillet laisse entendre que les corps de garde ottomans avaient une manière « civile » de prévenir toute personne égarée s’approchant par trop de leurs retranchements pour éviter de s’en prendre inutilement à des innocents :
Au commencement du Siège ils n’apportaient pas tant de précaution [nota : à la sécurité de leur camp], et comme on ne parlait point encore des secours de la Chrétienté, et qu’ils ne craignaient rien du côté des Insulaires [nota : des autres habitants de l’île de Crète], si ces Corps de garde découvraient quelqu’un, après lui avoir crié deux ou trois fois Alla, Alla [sic.], ils ajoutaient en langage Franc, à largua, à largua [sic.], qui est un terme de Marine : comme qui dirait, Ecartez-vous. Cela tenait lieu d’un Qui vive.
( p. 423)
(4)
Comme ils furent à la porte de cette petite loge, ils virent un homme extrêmement chenu, en habit vénérable ; qui ayant ouï le bruit de leur arrivée, vint au devant d’eux, et leur dit en ce mauvais Italien, qui est presque ordinaire aux navigateurs de la mer Méditerranée, et qu’on appelle il parlar Franco ; Qui que vous soyez, mes amis, que la tempête m’a fait visiter à regret, sachez que je vous reçois de bon gré…
Histoire nègre-pontique…, Paris, Musier, 1731 (première édition 1631), p. 29-30)
(5)
L’on parle ordinairement en Alger, à Tunis, à Salé, et aux autres villes des Corsaires de Barbarie, trois sortes de langues différentes. La première, est l’Arabesque ou la Mauresque, qui est celle du pays. La seconde, est la Turque, qui n’a rien de commun avec celle des Arabes et des Maures ; Et la troisième, celle qu’ils appellent le Franc, dont on use communément pour se faire entendre ; ce qui est un baragouin facile et plaisant, composé de Français, d’Italien, et d’Espagnol.
( p. 102-103)
(6)
D’abord que je parus devant Soliman, il commença de me parler ; car comme il avait déjà su que j’étais d’Italie, il crut bien que j’entendrais une langue qu’ils appellent langue franque à Constantinople, que tout le monde y sait, pour la commodité du commerce et que j’entendais parfaitement, parce que ce n’est qu’un italien corrompu.
(Partie I, Livre 5, p. 480)
(7)
Le Grec vulgaire des Magnottes est beaucoup plus corrompu qu’ailleurs ; car ayant incessamment à faire trafic de ce qu’ils ont pris en course, et traitant tous les jours tantôt avec une Nation, tantôt avec l’autre, ils se sont fort attachés à cette Langue appelée Franque , c’est à dire , à cette méchante expression italienne qui n’emploie jamais que l’infinitif de chaque Verbe pour tous les Temps, et les Modes de la Conjugaison, et qui avec cette locution estropiée, ne laisse pas d’être généralement entendue par toutes les Côtes du Levant.
( p. 35)