Ce décor, inspiré de celui du prologue d’Ercole amante (1662), conçu par Carlo Vigarani (1) ou de celui des Noces de Pélée et de Thétis (1654), par Giacomo Torelli (2), pouvait aussi rappeler aux spectateurs de la création les grottes et fontaines imaginées par Tommaso Francini, située dans le parc des résidences royales de Saint-Germain-Laye (3) et de Fontainebleau (4).
Les « marques » désignent l’urne à laquelle, traditionnellement, sont accoudées les figures incarnant les fleuves et divinités des rivières, décrits dans les traités de figures et d’emblèmes, par exemple celui qu’établit en Jean-Baptiste Boudard (1759) (5) à partir des sources italiennes, notamment l’Iconologie de Cesare Ripa (1598).
Jean de La Fontaine décrit ainsi les ornements de la grotte de Thétis sculptée par Guérin, Marsy, Girardon et Regnaudin, qui venait d’être achevée dans les jardins de Versailles, dans le conte des Amours de Psyché et de Cupidon (1669) (6).
(1)
La Scène des deux côtés représente des Montagnes et des Rochers, sur lesquels sont couchés quatorze Fleuves qui ont été sous la domination des Français: Dans le fond du Théâtre se voit la Mer, et dans l’Air la Lune qui descend dans une Machine qui représente son Ciel.
( p. 13)
(2)
A l’ouverture du Théâtre paraissent Apollon et les Muses sur le haut de leur Montagne, et de côté et d’autre les deux fleuves principaux de la Thessalie, et les Néréides séparées en deux Choeurs qui louent Apollon, et le convient à descendre pour donner un heureux augure aux amours de Pélée.
( p. 5)
(3)
Sous ce balcon et cet escalier se trouve un souterrain construit avec beaucoup d’art, au milieu duquel a été élevée une fontaine avec des coquillages et des coraux ; un griffon projette l’eau, et des rossignols, mus également par l’eau, chantent très agréablement. Sur le côté droit, on nous conduisit dans une grotte, où on a installé plusieurs jets d’eau avec beaucoup d’ingéniosité et comme je n’en ai jamais vus auparavant. Ces jets d’eau sont recouverts tant en haut que sur les côtés d’ambre fondu, que l’on a fait venir de la mer et des mines. On y voit toutes sortes de coquillages, de moules bizarres, des coraux, mêlés à de belles pierres. Lorsqu’on fait marcher les jets d’eau, l’eau sort du rocher et de toutes les statues, qui y ont été placées avec beaucoup de goût, en sorte que le spectacle est fort pittoresque et fort curieux. Le sol est pavé, autant que je m’en souviens, de petites cailloux de couleur ; il se compose d’une foule de petits tuyaux, qui élèvent l’eau jusqu’à la voûte, d’où elle retombe sur le sol sous forme de forte pluie, en sorte qu’on ne peut rester ni en haut ni en bas sans se mouiller.
Les murs ont beaucoup de cavités où l’on a placé de nombreuses figures en métal, en marbre, en coquillages et autres ; presque toutes lancent des jets d’eau. Il y a beaucoup de personnages qui se meuvent ; ainsi on voit des forgerons courir et frapper sur une enclume, on voit aussi des lézards, des grenouilles, des serpents et autres animaux posés par-ci par-là sur les pierres et lancer de l’eau, en faisant des mouvements quelconques. Si je ne me trompe, il y a un Neptune, dieu de la mer, avec son trident, qui sort de l’eau, debout sur un char. On le voit paraître à la surface, en sortir, tourner de nouveau sur lui-même pour disparaître encore.
(Thomas Platter le jeune, « Voyage de Paris à Saint-Germain », novembre 1599, dans la Description de Paris (1599), traduction de l’allemand par L. Sieber, achevée par MM. Weibel, Mémoires de la Société de l’Histoire de Paris et de l’Ile de France, t. XXIII, 1896, p.52)
(4)
Fontaine avec au centre l’allégorie d’un fleuve, Abraham Bosse, dans Pierre Dan, Le Trésor des merveilles de la maison royale de Fontainebleau, Cramoisy, 1642, p.157.
Fontaine du Tibre, Michel Lasne, dans Pierre Dan, Le Trésor des merveilles de la maison royale de Fontainebleau, Cramoisy, 1642, t. XI.
(5)
FLEUVES en général.
Tous les fleuves , et toutes les rivières du monde peuvent se caractériser par des attributs qui leur conviendront lorsqu’ils auront rapport à l’origine de leurs noms, aux qualités des pays qu’ils arrosent, aux fortes de poissons particuliers qu’ils produisent , et aux divers animaux qui habitent leurs rivages.
On n’en donne ici que deux exemples , chacun étant à portée de recourir aux histoires pour donner des attributs aux fleuves qu’ils auront à représenter.
Le Tibre.
Il se représente fous la figure d’un vieillard appuyé sur une urne. lia une couronne de laurier, en mémoire des victoires des Romains. Son symbole est une louve qui allaite deux enfants. La corne d’abondance remplie de fruits indique la fertilité du pays qu’il arrose. Son attitude tranquille caractérise le cours paisible de ses ondes, elles font jaunâtres, […]
Le Styx.
Vieillard de couleur tannée, assis sur une urne, d’où fort une eau rougeâtre qui coule parmi des joncs, et des roseaux secs, parce qu’il est plutôt un marais qu’un fleuve. Il tient un sceptre de fer, symbole de la puissance qu’il a fur les serments des Dieux.
( p.16-17)
(6)
Dans le fond de la grotte une arcade est remplie
De marbres à qui l’art a donné de la vie.
Le dieu de ces rochers, sur une urne penché,
Goûte un morne repos, en son antre couché.
L’urne verse un torrent ; tout l’antre s’en abreuve.
L’eau retombe en glacis, et fait un large fleuve.