Un premier coup d’oeil allume en nous les flammes

« Ah! qu’il est bien peu vrai que ce qu’on doit aimer
Aussitôt qu’on le voit prend droit de nous charmer,
Et qu’un premier coup d’oeil allume en nous les flammes
Où le Ciel en naissant a destiné nos âmes. »
La Princesse d’Elide, I, 1 (v. 54-66)

La question de savoir si le véritable amour se déclare toujours au premier coup d’oeil et obéit donc à « toutes ces raisons de douces sympathies » est débattue dans la Clélie (1) et dans la Célinte (1661) (2) des Scudéry, ainsi que dans le tome V de l’Almahide (1661) (3). Jaulnay, dans ses « Questions d’amour« , aborde également le thème de « l’amour d’inclination » dans ses rapports avec les autres formes d’amour (4). Dans la harangue d’Angélique à Médor, au deuxième volume des Femmes illustres (1644) des Scudéry, Angélique tentait de convaincre Médor « que l’amour vient de la seule inclination » ( Harangue 10). Ces quatres vers seront cités dans l’Histoire du Palais-Royal (1667), texte licencieux sur les amours du roi, paru clandestinement en 1667 ( p. 63) (voir également « une qualité que j’aime en un monarque« ) (source : Marine Roussillon, « Théâtre et pouvoir avant l’institution : La Princesse d’Elide dans et après Les Plaisirs de l’Ile enchantée« , Revue d’Histoire du Théâtre, 2014, p. 22).

 

 


 

(1)

Pour moi, dit alors Clélie, je n’ai jamais pu comprendre qu’il fût possible d’aimer ce qu’on n’a pas eu loisir de connaître ; je conçois aisément, poursuivit-elle, qu’une grande beauté plaît dès le premier instant qu’on la voit ; mais je ne conçois point du tout qu’on la puisse aimer en un moment ; et je suis fortement persuadée, qu’on ne peut tout au plus, la première fois qu’on voit une personne, quelque aimable qu’elle puisse être, sentir autre chose dans son coeur, que quelque disposition à l’aimer.
Comme vous n’avez jamais eu d’amour, répliqua Horace, il n’est pas fort étrange que vous ne sachiez point comment cette passion s’empare du coeur de ceux qu’elle possède ; mais il est pourtant constamment vrai, qu’on peut avoir de l’amour dès le premier jour qu’on voit une personne qu’on est capable d’aimer.[…]
Il est certain, reprit Aronce, que l’amour peut plutôt naître en un instant que l’amitié, qui pour l’ordinaire est toujours précédée par plusieurs bons offices ; mais je suis pourtant persuadé qu’une amour qui n’a pas un commencement si subit, et qui est devancée par une grande estime, et même par beaucoup d’admiration, est plus forte, et plus solide, que celle qui naît en tumulte, sans savoir si la personne qu’on aime, a de la vertu ni même de l’esprit […]
Avouez [répliqua Horace] que toutes les grandes passions ont un commencement violent, et qu’il n’y a rien qui fasse plus voir qu’une amour doit être ardente et durable que lorsqu’elle naît en un instant, sans le secours de la raison.
Je tombe bien d’accord, reprit Aronce avec précipitation, qu’on peut commencer d’avoir de l’amour dès la première fois qu’on voit une aimable personne ; mais je n’avouerai pas que ceux qui ont ce premier sentiment de passion plus violent que les autres aiment davantage, ni même si longtemps […].
(I, 1, p. 196)

 

(2)

Car enfin puis-je avoir l’audace de vous avouer que je vous ai vue assez longtemps sans avoir de l’amour pour vous. Quoi, reprit Célinte en rougissant, quand vous me vîtes la première fois, je vous déplus, et vous eûtes de l’aversion pour moi. Nullement, reprit-il, mais quoique je vous trouvasse admirablement belle, que vous parlassiez de fort bonne grâce, et que je vous estimasse infiniment, je le dis à la honte de mon coeur, je ne sentis point un certain trouble qu’on ne peut s’empêcher de sentir quand on commence de devenir amoureux ! Ah Poliante, reprit Célinte ; vous ne m’aimiez point alors ; vous ne m’aimez point encore, et vous ne m’aimerez jamais. Car enfin, il n’y a que l’amour qui naît par inclination que je puisse appeler amour. Toutes les autres amours ne sont rien, et je m’estime tout à fait malheureuse ; car enfin je l’avoue à la honte de mon coeur, pour me servir de vos termes, je sentis de la disposition à vous aimer dès que je commençai de vous voir […] Mais Madame, reprit Poliante, pensez-vous que je puisse jamais cesser de vous aimer ; oui, répliqua-t-elle, puisque vous n’avez pas commencé de m’aimer par inclination. […] Mais Madame, reprit Poliante, que vous importe si je vous ai aimée le premier puisque je vous aime toujours, et que ce soit par estime, par reconnaissance, ou par inclination, ou par toutes les trois ensemble, personne n’ait jamais aimé si ardemment que moi.
(Célinte, 1661, p. 192-196)

 

(3)

Quoiqu’il en soit, ajouta Lydice, je voudrais bien savoir laquelle est la plus puissante, ou de l’amour par choix, ou de l’amour par inclination. Il me semble, Madame, reprit Ebal, que la chose n’est guère douteuse […]. Car enfin cette inclination dont vous parlez, ne peut être, au plus, qu’un léger mouvement de l’âme ; qu’une insensible pente naturelle qui la pousse imperceptiblement plus vers un objet que vers un autre : et qui ne lui donne qu’une simple disposition à aimer. Ce n’est (à dire les choses comme elles sont) que le commencement de l’amour […] et tant que les choses en demeurent là, l’on aime si peu, que l’on peut presque dire que l’on n’aime point, que l’on peut encore se croire libre. […] Mais il n’en est pas de même de cette passion judicieuse et illuminée ; de cette passion clairvoyante, que la raison conduit, après qu’elle l’a fait naître, et qu’elle n’abandonne jamais. Bien loin d’imiter l’instinct aveugle des animaux […], cette sage passion regarde, considère, examine : et sachant qu’il faut connaître pour aimer, elle ne fait jamais aimer, qu’après que l’objet de cet amour est bien connu. […] et c’est par toutes ces raisons que je conclus, que l’amour d’élection est plus forte, que celle d’inclination, n’en déplaise aux astres et aux étoiles.
(Almahide, t. V [Suite de la 2e partie, t. 2], 1661, p. 1685-1690)

Pour moi, lui répondit alors Abindarrays, je ne suis point du tout de votre opinion […], en pensant parler de l’amour, vous avez parlé de l’amitié […]. Car je vous conjure de me dire si cette passion philosophique, qui regarde, qui considère, qui examine, qui met des arguments en forme, et qui après en avoir tiré ses conséquences, conclut qu’elle doit faire aimer, a le moindre trait, ni seulement le moindre air, de tout ce que l’on voit en amour ? […] Mais il n’en est pas de même de l’amour : car comme elle tombe de haut, et c’est à dire des étoiles ; elle tombe dans le coeur avec une rapidité qui l’entraîne, et qui ne lui laisse pas le loisir de délibérer. L’âme se trouve prise avant qu’elle ait eu le temps de considérer ce qui la prend : le premier instant de la vue de l’objet aimé, est le premier instant de sa passion : à peine les yeux savent-ils qu’il est aimable, que le coeur sent qu’il le doit aimer, ou qu’il l’aime : et par une invisible chaîne, qui l’attache visiblement, cette constellation dominante, cette puissance occulte et tyrannique, que nous appelons inclination ; l’attire avec une force sans égale ; le retient par des liens qu’il ne saurait rompre ; et l’embarrasse dans des filets, dont il ne saurait se dégager […] Il faut conclure […] que notre choix fait nos amitiés, mais que les astres font notre amour, et […] que l’amour par inclination est la plus puissante, et à proprement parler la seule amour.
(Ibid., p. 1690-1698)

 

(4)

De l’amour d’inclination
Question première. Qu’est-ce que l’amour d’inclination.
Réponse. C’est un engagement naturel de notre âme, par lequel nos yeux sont tellement enchantés et notre inclination préoccupée, qu’ils ne représentent à notre coeur que les choses qui peuvent plaire de l’objet vers lequel nous avons de la pente.
(Jaulnay, p. 8)

4. Qu’est-ce qui produit en nous cet amour ; l’Etoile, l’agrément ou l’espérance de quelque bien ?
R. La pente naturelle est ce qui nous fait véritablement aimer ; mais l’amour propre augmente et fortifie cette inclination par le plaisir qu’il nous propose à aimer […].
( p. 10)

5. Si l’amour d’inclination est plus forte que toutes les autres sortes d’amours, et que toutes les autres passions ?
R. L’amour d’estime et de reconnaissance étant formé par la raison, dont tous les mouvements sont réglés, est beaucoup moins violent que l’amour d’inclination, qui naît en nous sans notre consentement, et y excite toutes les passions.
( p. 10-11)

9. Qui va le premier ? l’agrément de l’objet aimé, ou l’amour de celui qui aime, et si l’on doit juger ainsi : Il l’aime parce qu’elle lui plaît, ou Elle lui plaît parce qu’il l’aime.
R. Notre coeur va au-devant des agréments de l’objet aimé dans l’amour d’inclination, mais dans les autres il se rend aux charmes.
( p. 13)

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